Ni beaux ni laids

Ni beaux ni laids

Victoire

 

Devenue aveugle, Victoire se retire dans sa tête. Avec compassion, elle contemple une petite fille de 5 ans, sur un boulevard rempli de camions. Comme un petit animal apeuré mais tenace, l’enfant trébuche, déboule et se relève pour se rendre à l’école.

 

Malgré la perte de la vue, Victoire se ferme les yeux. Ce passé qui surgit du fond de ses ténèbres la fait frissonner. Oui, Victoire se souvient. Sa petite sœur l’accompagne l’année suivante. Main dans la main, deux fillettes que personne ne remarque. L’aînée donnera toujours l’impression à la cadette d’être plus courageuse.

 

Victoire sourit car elle sait que c’est la plus jeune qui la guidait comme le phare qui empêche les bateaux de s’échouer.

 

Le soir, après le chapelet en famille, arrivait le moment d’aller au lit. Soudées, les fillettes s’amusaient à s’écrire dans le dos, des mots tendres et doux, mais Victoire se souvient aussi, des gestes qui font mal et qui font peur aux petits enfants.

 

L’ignorance devant la dureté des mots et des gestes, résonne encore très fort, dans le cœur de Victoire. Les oreilles de Victoire reconnaissent la peur. Cette peur qui se tortille sans arrêt dans son ventre. L’angoisse, la honte…

 

Victoire ricane. Oublier le passé. Le passé fait partie intégrante de son présent. Toute cette énergie dépensée à vouloir nier et refouler ce monstre intérieur qui la ronge depuis tant d’années. Bien vivant au creux de son être, le passé l’accompagne encore et encore.

 

Malgré elle, Victoire se revoit petite, jouer dans l’eau boueuse, avec une grenouille. C’était tout ce qu’elle possédait, une petite grenouille verte. Le printemps était doux et la chaleur réchauffait ses bras. Malgré cette vague de chaleur, Victoire s’entêtait à ne pas porter de vêtements qui dénudaient son corps. Elle craignait toujours que quelqu’un puisse remarquer l’étampe d’une boucle de ceinture sur son bras.

 

L’exposition des tableaux de son enfance lui rappelle aussi, l’image d’une enfant, les épaules affaissées, qui sanglote sans retenue avec un chiot collé contre sa peau. Elle a eu l’ordre de faire endormir son petit chien.

 

Victoire connait la misère qui tue l’espoir et la confiance et il est pénible à vivre ce passé qui débarque comme ça dans sa vie présente.

 

Les larmes jaillissent …l’étau se desserre…

 

Le bouillard dans son esprit se dissipe lentement pour laisser la place à la chaleur et à la tendresse comme les soirs de grand froid quand elle prenait un bon bain chaud et que deux bras l’enveloppaient dans une immense serviette toute chaude.

 

Le cœur de Victoire est si ridé, que le moindre accroc même le plus naturel, vient encore écorcher les plaies non cicatrisées, mais le temps, comme l’eau de la rivière, s’écoule et s’adapte. Sinon, la rivière se dessèchera progressivement.

 



18/04/2011
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