Ni beaux ni laids

Ni beaux ni laids

Un peu de moi ... de mon enfance ...

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Un peu de moi…

 

 

Vous retrouverez des «  bouts de vie » que j‘ai racontés à ma manière. Il y a aussi des pages du livre de mon histoire, déchirées, envolées…. Je ne crois pas que l’essentiel se retrouve sur toutes ces pages. Cependant, les émotions qui continuent de survivre à travers ce parcours.

Grands-parents paternels :

La demeure de mes grands-parents paternels me servait de refuge. Je n’ai conservé que des souvenirs merveilleux avec mon grand-père. Il me portait aux nues, j’étais sa petite fille adorée et je l’aimais tout autant.

Lorsque nous arrivions chez lui, mon cœur cognait si fort que j’avais l’impression que tout le monde pouvait l’entendre. Je voyais grand-papa derrière la grande vitrine qui se berçait en nous attendant. Grand-maman s’affairait dans la cuisine. Dès que j’entrais dans la maison, je plissais mon nez et ça sentait toujours le bon café puis, je m’élançais vers cet homme qui me paraissait une montagne de roc indestructible. J’ai gardé très longtemps ce besoin physique de sauter au cou de mon grand-père. J’avais vécu parmi eux les quatre premières années de ma vie et personne n’a réussi à briser ce lien affectif.

La maison de mes grands-parents paternels était rose :

 

La maison rose

 

 

Je ferme les yeux. Elle est là, toute rose, au-dessus d’un grand trou noir.

 

Je n’ai que quatre ans. La poussière grise de la ville enveloppe le paysage et ce gros trou noir, au centre de la ville, mange les maisons multicolores, les unes après les autres.

 

Grand-père me sourit. Je hausse les épaules. Je n’ai rien à craindre. Les murs de la maison rose, me parlent d’amour, le réfrigérateur grinche et ça sent le bon café.

 

Je ferme plus fort les yeux pour mieux ressentir ce que je vois : tante Irène, assise comme une reine musicienne. Elle chante et joue du piano et de l’accordéon piano. Oncle Gérard avec son violon et mon père à la guitare l’accompagnent. Même le silence, dans la maison rose, réveille en moi les sons harmonieux de mon enfance.

 

Un jour, je quitte la maison rose. Je n’ai que 5 ans. Personne ne me demande mon avis. Je laisse donc derrière moi presque tout ce que suis, car je me dépouille de ce que j’aime.

 

De temps en temps, je reviens vers la maison rose. Mes grands-parents sont devenus un vieux couple qui attend.

 

Leur maison, ma maison rose, reste en suspens entre ciel et terre.

 

Ces murs de briques roses cachent les espoirs et les malheurs d’une longue génération.

 

Le feuillage et les plantes grimpantes continuent de s’enlacer tendrement. Les rosiers avec leurs épines, n’ont pas cessé de décourager les curieux.

 

L’hiver, la maison rose se drape d‘un grand linceul blanc, malgré les nuages et la poussière grise de la ville.

 

Pour moi, la maison rose, perchée dangereusement au-dessus de ce trou, demeure indestructible.

 

Pourtant, un soir sans lune, la maison rose, sans dire un mot, s’est couchée dans le gros trou de poussière. Le vieux médecin de la ville raconte que la maison rose a perdu ses belles briques roses et qu’elle a glissé doucement dans son cercueil. Le monstre géant de mon enfance a grugé peu à peu la maison rose et tout ce qu’elle contenait.

 

Le couple aimé de mon enfance est allé aussi s’étendre, mais dans un cimetière voisin.

 

Je ne suis pas retournée dans cette ville toute grise. Je ne pourrai plus trouver la maison rose. Elle est dans ce trou noir, devenu gigantesque, et, toujours situé dans le centre de la ville.

 

Malgré tout, la maison rose m’habite toujours. Elle reste imprimée sur la pellicule du film de mon enfance.

 

Le dimanche chez mes parents :

 

Le dimanche était une journée spéciale. Toute la famille, père, mère et les cinq enfants, nous partions à l’église. Bien cordés dans la nef latérale, nous nous tenions le corps raide sauf mon frère qui se permettait quelques blagues en vieillissant. Bien mal lui en pris, car il se retrouva à quelques reprises en avant à faire le «  piquet » devant tout le monde. Je ne sais pas qui était la personne la plus humiliée dans la famille mais moi, j’aurais voulu entrer sous terre et disparaître.

 

Au retour de la messe, c’était agréable presque tout le temps. Mon père aimait la musique donc nous aimions la musique. Avec lui, nous écoutions une émission avec des chanteurs italiens. Pendant ce temps, notre mère nous servait un bon repas au salon. Puis, guitare à la main, mon père se dirigeait vers le balcon et nous chantions en famille.

 

Les instants de bonheur chez nous, s’accompagnaient toujours de musique. Le dimanche soir, pour clore la journée, nous pouvions jouer au «  Monopoly » avec notre père qui affectionnait ce jeu. Cela nous permettait de veiller plus tard.

Grands-parents maternels

 

Lorsque mon père possédait une automobile d’occasion, nous partions pendant la fin de semaine chez mes grands-parents maternels. Toute la grande famille se réunissait dans cette maison où grand-mère semait le bonheur partout où elle passait. Tout le monde adorait cette femme…surtout mon père. Cette maison représentait aussi un autre refuge où l’amour se donnait sans compter…

Après la mort de grand-maman Laurence, grand-papa s’est remarié. Il était un homme juste et bon. Le labeur ne lui faisait pas peur. Il s’est éteint très alerte psychologiquement à l’âge de 93 ans. Peu scolarisé, il aimait apprendre et discuter. Son jugement se révélait pour moi sans faille

La maison de mes grands-parents maternels :

 

Située dans un rang de campagne, la maison de grand-mère se cachait derrière un gigantesque rocher tout gris. Très vieille et grise également, la maison camouflait de magnifiques rosiers qui faisaient office de clôture. Puis, une immense grange abritait les animaux de la ferme et un minuscule poulailler avec son coq et ses poules, permettait de manger des œufs bien frais.

 

Cette vieille maison se révélait très particulière. En effet, elle ne possédait pas de cabinet de toilette à l’intérieur. Il fallait se rendre dans une espèce de réduit puant et dégoutant à l’extérieur. Cependant, grand-mère avait pris soin d’ajouter un petit pot dans sa chambre et un autre dans une chambre de l’étage supérieur.

 

La nuit bien enfouie dans un édredon tout moelleux, j’écoutais les soupirs, les pleurs, les chansons et les rires qui se dissimulaient dans les murs. Je jouais des personnages de conte de fées et les différentes tapisseries me servaient de décor. Le bonheur semblait s’accrocher aux tentures usées par trop de lavages.

 

Les tapis tressés à la main pour recouvrir le plancher de bois me transportaient loin dans l’histoire de toutes les belles âmes qui avaient vécu dans cette vieille maison. Un poêle à bois diffusait une chaleur inégale, mais mon cœur et mon corps ne frémissaient jamais de froid. Je ne reconnaissais même pas la pauvreté des lieux.

 

Devant la vieille maison, un gros rocher :

 

Enraciné dans la terre et dressé devant la maison, le rocher ressemblait à un génie sorti tout droit de la lampe magique d’Aladin. Dans mon imagination, ce rocher souriait et il me transportait avec ses gros bras dans un monde où les pleurs n’existent pas.

Mon jeu favori pendant la belle saison consistait à me cacher dans le fond de ses entrailles et à examiner les fourmis dans ses multiples crevasses. Le soleil, le vent, la neige et la pluie avaient pâli la couleur de sa peau et donnaient au rocher, une allure plus douce.

Immense et si beau, debout au sommet du rocher, je tentais de m’agripper aux nuages. Bien collée contre sa paroi, je devenais invincible et sans peur. J’avais créé avec ce rocher un monde où tout devenait possible.

Pièce importante dans la maison de mes grands-parents : le piano

 

Proclamé le grand Maître de la maison, un robuste et majestueux piano appuyait son grand dos sur le mur le plus long du salon. Les enfants ne cessaient d’ouvrir son couvercle, de le chatouiller avec leurs mains maladroites et ses notes ne sonnaient pas toujours justes.

 Une fois par semaine, grand-mère prenait un soin méticuleux pour enlever chaque grain de poussière qui pouvait se déposer sur son clavier. Le piano faisait partie intégrante de la famille et moi la Vieille chaise,  je ne cessais d’espérer me bercer tout contre lui. Parfois, j’entendais un air de Chopin, de Liszt ou de Schubert, mais très souvent quatre mains se frôlaient tout en jouant des airs de l’époque. Faut dire que le piano savait se montrer accueillant, folâtre, joyeux, triste ou amoureux.

Pendant le temps des Fêtes, nos amis les guitares, les violons et les accordéons nous accompagnaient dans un superbe rigodon. Les rires fusaient, les regards s’échangeaient, les enfants s’endormaient, les artistes rêvaient et moi, la Vieille chaise, je m’émerveillais même des soupirs et des silences du piano.

Dans la grande cuisine, la table :

 

Occupant la place centrale de la maison, une majestueuse table de bois se dressait prête à toutes les éventualités. Le gros bol à soupe était posé sur une petite assiette qui était placée sur la grande assiette. Les ustensiles bien alignés de chaque côté du couvert et la soucoupe avec sa tasse à la droite. Au centre de la table, on retrouvait le duo pour le sel et le poivre, un crémier, un beurrier et un sucrier. Puis, grand-mère déposait soigneusement une grande nappe sur le tout afin de protéger sa vaisselle toute rose et toute propre, des saletés. J’ai connu l’époque de la famille nombreuse : onze enfants puis cinquante-trois petits-enfants. Les moments où grand-père et grand-mère se regardaient face à face s’avéraient presque inexistants.

Ce que je trouvais excentrique, c’était de voir grand-père prendre une immense tasse de café dans laquelle grand-mère lui versait un bon thé bouillant. Puis, grand-père versait une légère quantité de son breuvage dans sa soucoupe et après, seulement après, il prenait son thé par petites gorgées.

Moi la Vieille chaise, j’observais ce rituel en silence. Enfin, grand-mère débarrassait la table, lavait et ébouillantait sa belle vaisselle  et remettrait les couverts sur la grande table au centre de la cuisine. Alors venait le temps pour moi de bercer tout doucement grand-mère quelques instants avant qu’elle entre avec grand-père dans leur chambre pour la nuit. Tout ou presque se passait autour de la grande table et peu importe où je me trouvais, je pouvais tout voir et tout entendre.

La chambre de grand-mère (Laurence)

 

 

La porte de la chambre de grand-mère se trouvait dans la cuisine. Malgré la promiscuité des lieux et la famille nombreuse, personne n’osait pénétrer dans ce sanctuaire sauf grand-père bien entendu. Jamais je ne voyais des enfants enfreindre une loi non dite, mais tacite. Cette pièce mystérieuse ressemblait à une caverne d’Ali Baba avec ses tentures, ses meubles rustiques et tous ses bibelots. Les murs cachaient tous les secrets du monde. De plus, une boîte suspecte se trouvait sous le lit de grand-mère. Un jour, tout en souriant, elle a apporté ce trésor sur la grande table. Les petits-enfants qui se trouvaient avec elle ce jour-là avaient les yeux tous ronds. Grand-mère a soulevé le couvercle et des bonbons de toutes les couleurs sont apparus. Avec son regard taquin, elle a demandé lequel nous voulions manger. Tous ont répondu « le rouge ». Alors, elle a pris le bonbon rouge, l’a fait tourner entre ses doigts, l'a regardé en se léchant les babines et puis, elle l’a mise dans sa bouche!

La santé, la maladie, la mort…

 

J’ai souvenance d’avoir éprouvé des problèmes de santé, d’avoir reçu des injections le vendredi soir, d’hémorragies, mais j’ai toujours pensé que mes parents, surtout ma mère, avait exagéré la situation.

 

Pourtant, l’année où mon frère a été tué (2007), mon père fut hospitalisé. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, il était en pleine confusion, mais il m’a dit :

 

-       Tu te rappelles que papa t’amenait chez le docteur…que tu devais mourir alors amène-moi avec toi…

 

Le lendemain, à mon arrivée à l’hôpital, il chantait «  Les enfants oubliés »

 

J’ai compris à ce moment-là toute la souffrance de mon père et ses inquiétudes.

 

Quelques mois plus tard, mon père a été déclaré atteint de la maladie d’Alzheimer.

Les années ont passé, mais mon cœur n’a pas changé. Il continue de battre, de se battre. Je ne crois pas à la nécessité d’écrire en mots tous les maux. En même temps, je peux reconnaître la peur, le désespoir et la souffrance. Toutefois, je trouve important de saisir, de décrire toutes les joies, le bon et le beau qui nous habite.

Je me questionne encore si la mort de mon enfance, n’est pas celle dont je ne sais pas guérir.

Couchée sous un peuplier blanc, mes yeux scrutent le ciel. L’aube s’incline tendrement devant l’aurore. Je tends les bras pour caresser un rayon jaune qui surgit derrière la lumière diffuse.

 

Je me cramponne aux ailes de la vie. J’effleure le sol, je plane et je danse. Mon vol demeure erratique et mon cœur reste à tire d’ailes.

 

L’espace d’un instant, je chante et soudain, une branche se casse. La tempête déferle avec force et fracas. Mon cœur saigne. Je tente de l’envelopper sous une belle capuche pour le protéger des grosses précipitations. Peine perdue ou âme perdue, je ne sais pas ou je ne sais plus.

 

Accroché au bout d’une branche, ce cœur saignant se balance au gré du vent.

 

Sous le peuplier blanc, mon âme se réfugie derrière la magnificence de la nature.

 

 

 

Francine Fortier Alberton



04/01/2016
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